Mr et Mrs Bridge d’Evan Shelby Connell
- Camille
- 31 janv. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 mars 2020
Classique – roman de vie – famille - Etats-Unis – littérature étrangère
Résumé

Aujourd’hui, je vous présente non pas un mais deux romans indissociables l’un de l’autre : le diptyque Mr et Mrs Bridge. Classiques de la littérature américaine, les romans évoquent la vie d’un couple bourgeois américain de l’entre-deux-guerres.
Mrs Bridge est le premier tome, sorti en 1959. Il dépeint le quotidien d’une femme de sa classe, son "beau mariage" puis l’arrivée de ses enfants, sa vie quotidienne, ses relations avec ses amies et sa bonne. La vie qui passe, inéluctablement. Tout semble couler sur Mrs Bridge qui vit chaque événement avec un certain détachement, comme si tout était prévu à l’avance dans une existence bien millimétrée.
En réalité, le drame de sa vie est qu’elle est prisonnière des conventions, de son éducation, et même si elle entraperçoit parois la réalité d’un autre monde et l’évolution de la société elle préfère répéter les mêmes platitudes, suivre l’avis de son mari et ne pas analyser le fond des choses.
De temps en temps, elle exprime un rêve, une envie, ce qui la rend plus attachante, car on comprend que sa vie lui échappe.
Au fur et à mesure des pages, Connell distille avec talent des informations sur le monde qui change, la ségrégation, la montée nazie en Europe. Mais comme Mrs Bridge ne veut pas se laisser atteindre par ce qui pourrait bouleverser sa vie, elle reste indifférente, impénétrable.
On sort de ce roman avec l’idée que Mrs Bridge a une vie bien futile, si dénuée de sens et en dehors des réalités qu’elle en est dramatique. On a presque le sentiment de s’être ennuyé à la lecture, à l’instar de Mrs Bridge et de sa vie insipide.
La lecture de Mr Bridge, publié en 1969, apporte un autre éclairage sur le couple et sa famille. Mr Bridge représente l’autre face de ce couple des années 30 : il est le chef de famille, celui qui décide de la bonne marche à suivre. Comme sa femme, il estime que des conventions rigides sont le bien-fondé de toute société et n’a aucune flexibilité. Ses avis sont ceux d’un homme de son époque qui aime l’ordre et la société telle qu’elle est. Un peu antisémite, un peu raciste, condescendant envers les pauvres, sans dépasser la ligne rouge mais sans aucune nuance. Mr Bridge a des positions bien arrêtées, mais comme tous les hommes conditionnés de son temps il suppose sans connaître, par exemple sans avoir réellement pu rencontrer de personnes juives, noires ou pauvres.
Comme à la lecture de Mrs Bridge, on s’interroge sur l’humanité de Mr Bridge : a-t-il des émotions profondes ou la vie n’est-elle qu’une suite de cases à cocher conditionnées en fonction de son origine sociale ? Oui, les sentiments de Mr Bridge transparaissent parfois, de manière fugace, et là encore on aperçoit une vraie solitude derrière les carcans moraux.
Dans les deux romans, les enfants apportent de la fraîcheur : ils sont ceux qui suivent le monde en marche, et qui voient leurs parents rester peu à peu sur le bas-côté de la route.
Des livres que je recommande car…
Ne vous y méprenez pas : derrière la fadeur de ce couple sans histoire, l’auteur adresse avec ironie une critique de la société et des couples qui reste à mon sens toujours d’actualité.
Il y a en premier lieu l’absence totale de communication entre Mr et Mrs Bridge. A la fin de la lecture des deux romans, on pense à un beau gâchis et à la vie que le couple aurait pu avoir si chacun avait davantage exprimé ses envies profondes.
Derrière l’apparente froideur, on sent que c’est un couple qui s’aime, qui vibre, mais qui enfouit ses désirs derrière le quotidien.

Enfin, ces romans sont aussi le portrait de l’Amérique, une critique de la bien-pensance et une réflexion sur l’individualisme et les vies bien rangées. Il semble qu’une vie réussie soit conditionnée à la prospérité matérielle, et on voit à travers les Bridge les conséquences d’un tel état d’esprit.
J’ai trouvé cette présentation en diptyque vraiment originale. Il n’y a aucune redite dans les deux romans : chaque livre éclaire l’autre, lui apporte des nuances et il est impossible de se faire une vraie image des Bridge sans avoir lu l’ensemble.
Personnellement, je fais partie de cette génération qui s’interroge sur sa place et son utilité dans la société. Qu’est-ce que la réussite ?
Que faut-il accomplir pour s’épanouir ? Que veut-on léguer ?
Ces romans sont une belle réflexion sur le rôle que chacun a dans le monde aussi dans sa famille, sur le poids des conventions qui incite à faire taire ses envies.
Une lecture facile grâce à des chapitres très courts.
Mrs Bridge de Evan S.Connell, réédité par Belfond en 2016, 330 pages
Mr Bridge de Evan S.Connell, réédité par Belfond en 2016, 432 pages
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